Mécanismes neurocognitifs des incompréhensions entre universalisme et communautarisme
Introduction
Dans de nombreux débats (la plupart selon moi et pas seulement en politique), on observe un dialogue de sourds entre deux approches de la pensée : d’un côté, des logiques universalistes fondées sur des normes abstraites, formelles et rationnelles ; de l’autre, des positions communautaristes ancrées à l'origine dans le vécu, l’identité (encore faudrait il définir ce qu'est l'identité, disons une certaine vision politique de l'identité) et la reconnaissance des expériences concrètes. Cette opposition se manifeste par exemple dans les débats sur la laïcité (neutralité universelle de l’espace public vs expression des différences religieuses, et en dérivé des différentes communautés) ou sur l’égalité (traiter tous les citoyens de la même façon vs prendre en compte les spécificités culturelles ou historiques de certains groupes). Cette réflexion s’inscrit dans une tension plus large, qui traverse notamment la gauche contemporaine : celle de devoir naviguer de manière nuancée entre son héritage républicain, attaché à l’universalisme abstrait, à l’égalité formelle et à l’indivisibilité de la loi, et son ambition démocratique, soucieuse de reconnaissance, de pluralisme, et d’ancrage dans les expériences concrètes des individus et des communautés, sans sombrer paradoxalement dans l'ultra libéralisme ce qui l'éloignerait de ses fondamentaux. http://questions-constitutionnelles.fr
. Le cœur du problème réside dans des incompréhensions cognitives : les universalistes raisonnent souvent en termes de catégories formelles et de principes généraux, tandis que les communautaristes mobilisent un raisonnement plus analogique, basé sur des prototypes issus de l’expérience vécue et sur le contexte. Quels sont les mécanismes neurocognitifs sous-jacents à ces malentendus ? Peut on nuancer son discours en mobilisant les connaissances en neurobiologie et en psychologie cognitive sur le langage, la catégorisation, les émotions dans le raisonnement, et la dissonance cognitive. Les différences entre logique formelle et raisonnement analogique/contextuel, semblent alimenter des conflits d’interprétation dans le débat public. La question est d'articuler ces apports avec la normativité, le droit et les principes démocratiques (rationalité accessible, révisabilité des normes, etc.). La question n'est pas que politique du reste. Elle touche également les représentations et les choix de vie des individus, et en particulier les miens ou ceux des personnes qui au final, ont eu des conséquences sur ma vie.
1. Langage, catégorisation et sémantique prototypique vs formelle
Les divergences de raisonnement commencent souvent par une différence dans la manière de catégoriser le réel et de donner du sens aux mots. La langue et la pensée humaine n’empruntent pas toujours la voie de la logique formelle classique ; elles reposent fréquemment sur des catégories floues, des prototypes et des métaphores issues de l’expérience concrète.
1.1 Catégorisation conceptuelle : du modèle classique aux prototypes
La tradition aristotélicienne et la logique classique conçoivent les catégories à partir de définitions strictes par des conditions nécessaires et suffisantes : un objet appartient ou non à une catégorie, sur la base de critères universels et immuables. Dans ce cadre formel, tous les membres d’une catégorie sont équivalents en statut, et la catégorie a des frontières nettes (vrai/faux)
. Par exemple, on pourrait définir formellement un oiseau par la possession de plumes, d’un bec et la capacité de voler.
Les recherches en psychologie cognitive (notamment par Eleanor Rosch dans les années 1970) ont bouleversé ce modèle en introduisant la théorie du prototype. Selon cette approche, la catégorisation mentale est graduelle : certains membres d’une catégorie sont jugés plus représentatifs (plus typiques) que d’autres :
. Ainsi, un rouge-gorge est perçu comme un oiseau plus typique qu’un manchot, même si, formellement, les deux satisfont la définition d’oiseau
. Les catégories cognitives ont donc un noyau prototypique et des frontières floues. Cette idée marque une rupture radicale avec la logique formelle aristotélicienne fondée sur des essences fixes
. Des expériences de psychologie ont confirmé ces intuitions : par exemple, les participants répondent plus rapidement pour affirmer qu’un rouge-gorge est un oiseau que pour un manchot, signe que le rouge-gorge est plus proche du prototype mental d’« oiseau »
Là où la logique formelle applique uniformément des règles abstraites, le cerveau humain utilise souvent des représentations catégorielles souples, centrées sur des exemplaires concrets et stéréotypiques. Ce mode de structuration du langage peut engendrer des quiproquos : deux personnes (ou la même personne à des moments différents) peuvent employer le même mot tout en ayant en tête des concepts différents (l’une pensant à la définition formelle, l’autre à un exemple prototype). Dans le débat public, sur les réseaux sociaux, les médias, cela se traduit par des désaccords sur la signification des termes clés (qu’est-ce que « la liberté », « l’égalité », « la violence », etc.), chaque camp projetant un modèle mental distinct derrière le mot. Une loi ou un principe présenté en termes généraux pourra être interprété très différemment selon que l’on s’en tient à la lettre abstraite du texte ou qu’on le confronte à un prototype vécu (un cas concret jugé emblématique).
1.2 Cognition incarnée et importance du contexte
Corrélativement à la théorie des prototypes s’est développée l’approche de la cognition incarnée (embodied cognition). Cette perspective, à la croisée des neurosciences et de la psychologie, insiste sur le fait que nos concepts et notre raisonnement sont ancrés dans le corps et dans les expériences sensori-motrices et culturelles. Francisco Varela et ses collègues, pionniers de cette approche, résument ainsi l’idée : «le cerveau existe dans un corps, le corps existe dans le monde… et c’est de cette activité permanente qu’émerge le sens du monde et des choses».
«Je crois à la vérité des soleils et je n’ai foi qu’en ce qui est palpable.» Cette fidélité au monde sensible, au climat, à la chaleur, à la souffrance concrète, s’oppose aux grands discours désincarnés (marxisme dogmatique, messianisme religieux, militantisme communautaire ou rationalisme bureaucratique). Camus, nous rappelle que toute pensée commence dans un corps situé, confronté au monde. Si comme moi, vous ressentez une certaine fatigue des discours totalisants, qu’ils viennent du techno-rationalisme, du moralisme militant ou des dogmatismes identitaires, peut être est il temps d'arrêter la quête existentielle aux limites de notre propre perception.
https://universalis.fr
. Autrement dit, la signification n’est pas entièrement dérivable de définitions formelles, de symboles abstraits ni d'une simple expérience : elle se construit à partir de nos interactions concrètes avec l’environnement.
. Les neurosciences cognitives soutiennent cette vision incarnée. L’imagerie cérébrale suggère que comprendre un mot ou un concept active partiellement les aires sensorielles ou motrices liées à ce concept – témoignant que le cerveau simule des aspects d’expérience vécue lorsqu’il manipule la signification
. Penser au concept de « courir » recrute des zones motrices, et comprendre une phrase métaphorique comme « saisir une idée » engage des aires de préhension. De même, la théorie des cadres et métaphores conceptuels (développée par George Lakoff) montre que de larges pans de notre pensée abstraite reposent sur des métaphores enracinées dans le corporel et le vécu (par exemple, on conçoit symboliquement le débat d’idées comme un combat, la justice comme un équilibre, etc.).
Cette sémantique expérientielle a deux conséquences majeures dans les débats :
D’une part, le contexte et l’exemple concret influencent fortement l’interprétation. Une règle énoncée de façon formelle peut être « réinterprétée » mentalement par chacun en fonction de ses propres expériences ou des prototypes culturels. Par exemple, la notion de « famille » n’évoquera pas la même réalité pour un juriste qui en donne la définition légale générale et pour un individu qui pense à sa famille type (nucléaire, monoparentale, recomposée... selon son vécu et le contexte de la discussion).
D’autre part, les cadres cognitifs diffèrent selon les groupes culturels ou idéologiques. Chaque communauté de pensée forge des schémas mentaux et métaphores qui lui sont propres. Ainsi, les universalistes peuvent s’appuyer sur le cadre de la loi commune et de la raison formelle (« une règle est une règle, elle s’applique à tous sans distinction »), tandis que les communautaristes (et une partie de la nouvelle génération) peuvent mobiliser le cadre de la narration personnelle et de la situation spécifique (« chacun a son histoire, il faut comprendre le contexte avant de juger »). Ces différences de framing linguistique font que les arguments des uns ne résonnent pas cognitivement chez les autres, et vice versa.
2. Raisonnement : logique abstraite contre pensée analogique
Au-delà du langage, les styles de raisonnement divergent également. On peut opposer un raisonnement formel abstrait, qui applique des règles logiques universelles de manière décontextualisée, à un raisonnement analogique ou contextuel, qui s’appuie sur des comparaisons, des exemples concrets et le rappel de situations similaires déjà connues. Ces deux modes coexistent dans l’esprit humain, mais les individus ou les cultures peuvent avoir une préférence pour l’un ou l’autre, ce qui impacte leur façon d’argumenter en public.
2.1 Pensée déductive universelle vs raisonnement par cas concrets
Le raisonnement logique formel suit les principes de la déduction et de l’induction classique : on part de prémisses générales pour en tirer des conséquences, ou l’on généralise à partir d’un ensemble d’observations en respectant des règles strictes. Ce type de pensée vise l’objectivité et l’universalité du résultat, indépendamment des cas particuliers. Par exemple, un raisonneur formel invoquera un principe moral ou juridique abstrait (comme « toute discrimination est injuste ») et l’appliquera à la situation en faisant fi des identités ou des émotions en présence – seule compte la cohérence avec la norme générale.
En face, le raisonnement analogique consiste à projeter la structure d’une situation connue sur une nouvelle situation pour la comprendre ou décider
. Il mobilise la comparaison avec des cas antérieurs, des précédents, ou des mises en récit. C’est typiquement le mode de pensée juridique du cas par cas (par analogie avec la jurisprudence) ou le raisonnement moral par exemple (« que ressentirais-je si j’étais à la place de telle personne ? »). Le cerveau humain excelle dans ce type de pensée par patterns : il repère spontanément des ressemblances même lointaines entre des situations, grâce à des aires cérébrales préfrontales qui permettent d’intégrer plusieurs dimensions d’une situation pour en faire une analogie https://institutducerveau.org
. Ce mode de raisonnement est profondément contextuel : la validité d’un argument analogique dépend du contexte et de la pertinence de la comparaison choisie.
Aucun des deux modes n'est intrinsèquement supérieur ; chacun a ses forces et ses faiblesses. Cependant, dans les débats, une personne favorisant la logique formelle peut reprocher à l’approche analogique d’être peu rigoureuse (« ce n’est qu’un cas particulier, pas une preuve générale ») ou de verser dans l’émotionnel anecdotique. Inversement, une personne à la pensée analogique peut trouver l’autre déconnectée de la réalité, insensible aux situations concrètes injustes, cachée derrière des « principes froids ».
2.2 Biais cognitifs et heuristiques : quand l’esprit simplifie
Dans la vie courante, notre esprit n’applique pas toujours fidèlement la logique formelle. Il utilise des heuristiques – des raccourcis de pensée – qui permettent de juger rapidement, mais au prix de certains biais cognitifs. Ces biais éclairent pourquoi le raisonnement peut diverger de l’optique purement rationnelle et comment cela alimente les malentendus.
L’un des biais pertinents est le biais de représentativité : c’est la tendance à juger la probabilité ou la justesse d’une situation d’après sa ressemblance avec un cas prototype plutôt qu’en analysant rigoureusement les données statistiques ou les règles logiques
. On a tendance à généraliser à partir de quelques exemples marquants, considérés (à tort ou à raison) comme représentatifs. Ce biais revient à se baser sur des stéréotypes ou des cas emblématiques plutôt que sur une analyse objective. https://toupie.org
. Dans les débats sur l'augmentation de la criminalité, une personne marquée par un ou des faits divers très médiatisés pourra surestimer la fréquence de tel crime et réclamer une loi sévère (raisonnement par un cas prototype), tandis qu’un analyste plus universaliste se fiera aux statistiques globales montrant peut-être une tendance inverse. Le conflit naît de ce que l’un parle ressenti et images fortes, l’autre données abstraites, chacun percevant l’autre comme aveuglé (par l’émotion ou par les chiffres).
Un autre biais majeur est le biais de confirmation : la tendance à ne rechercher et ne croire que les informations qui confirment nos idées préconçues, en négligeant ou en minimisant celles qui les contredisent.
. Ce biais, souvent inconscient, renforce la polarisation des positions. Une personne communautariste convaincue de l’importance d’une injustice structurelle prêtera surtout attention aux témoignages allant dans ce sens et ignorera les contre-exemples, tandis qu’une personne universaliste attachée à l’impartialité de la loi se focalisera sur les principes confirmant sa position et négligera les cas problématiques. Chacun campe sur ses catégories mentales et filtre la réalité en conséquence, ce qui rend d’autant plus difficile la révision de son point de vue.
Les travaux de Daniel Kahneman sur les deux vitesses de la pensée (Système 1 / Système 2) synthétisent bien ces mécanismes. Notre Système 1 cognitif est rapide, intuitif, automatique et souvent chargé d’affect, alors que le Système 2 est lent, délibératif, analytique et logique.
. Le Système 1 utilise les heuristiques et prototypes (il opère par associations d’idées immédiates), tandis que le Système 2 applique des règles formelles en contrôlant le premier. Dans le feu de la discussion, c’est souvent le Système 1 qui domine (les réactions instinctives, les exemples frappants) et le Système 2 qui est mis en difficulté (demandant un effort pour peser calmement le pour et le contre). Il n’est donc pas surprenant que les débats publics, surtout s’ils touchent à l’identité ou la morale, basculent facilement dans l’irrationnel rationnel : chaque camp croit faire preuve de raison, mais c’est sa raison interne (cohérente avec ses prototypes et biais) plus que la raison formelle universelle.
3. Émotions, identité et dissonance cognitive dans le raisonnement
Les divergences entre universalisme et communautarisme ne sont pas seulement le fruit de conceptions intellectuelles différentes – elles s’enracinent aussi dans la dimension affective du raisonnement. Les émotions et l’attachement identitaire modulent profondément la façon dont nous traitons arguments et informations, pouvant amplifier les incompréhensions mutuelles.
3.1 Le rôle indispensable des émotions dans la cognition
Longtemps, on a opposé émotion et raison comme deux pôles contraires – l’une perturbant l’autre. Les découvertes en neuropsychologie ont renversé ce mythe : émotion et cognition sont intimement liées dans le cerveau. Comme le résume Antonio Damasio, loin d’être un luxe irrationnel, les émotions sont en réalité nécessaires pour bien raisonner et décider. Ses études de cas (notamment celui d’Elliot, patient ayant une lésion au cortex frontal) ont montré qu’une absence de réaction émotionnelle appropriée conduit à une incapacité à prendre même des décisions banales de la vie. Toute révolte authentique naît d’un choc sensible : un enfant blessé, une injustice flagrante, une oppression tangible. C’est l’empathie charnelle – ce que Damasio appellerait un marqueur somatique – qui précède le jugement moral. https://cortex-mag.net
.Les émotions agissent comme des marqueurs somatiques, selon la théorie de Damasio
. Lorsque nous évaluons mentalement diverses options ou interprétations, notre cerveau associe à chacune une valence émotionnelle (plaisir/déplaisir, appréhension, attrait…) en se basant sur nos expériences passées. Ces signaux corporels (accélération cardiaque, tension, etc.), traités notamment par l’amygdale et le cortex orbito-frontal, aident à trancher rapidement en écartant les options qui « nous font sentir mal » et en privilégiant celles qui « nous font du bien »
. Autrement dit, l’émotion sert de boussole rapide pour la raison. L’émotion focalise l’attention et renforce la mémoire : nous retenons mieux un événement qui nous a bouleversés ou enthousiasmés qu’un fait neutre
. Dans un débat, cela signifie qu’un argument chargé d’émotion aura plus d’impact psychologique qu’une statistique austère – il marquera les esprits et orientera la discussion.
Cependant, le revers de la médaille est que les émotions peuvent introduire des biais puissants. Par exemple, une personne très impliquée identitairement dans une cause (ou une relation) ressentira une menace personnelle face à des arguments contraires, ce qui déclenchera du stress ou de la colère, altérant sa réception de l’information. On parle de raisonnement émotionnel lorsque quelqu’un juge la vérité d’une situation à l’aune de ce qu’il ressent (“si je me sens offensé, c’est qu’il y a offense”), au risque de rejeter tout élément dissonant.
. Ainsi, un débatteur communautariste pourra rejeter un principe universaliste parce qu’il lui fait ressentir une négation de son vécu (peu importe que ce principe se veuille impartial en théorie) ; symétriquement, un débatteur universaliste pourra éprouver de l’agacement face à des témoignages individuels qu’il perçoit comme des attaques contre l’ordre commun, et balayer ces arguments sans vraiment les considérer. L’émotion est donc un filtre de l’acceptabilité cognitive.
Illustration : coupe sagittale du cerveau humain. En rouge, le cortex cingulaire antérieur, région du cortex médial frontal impliquée dans la détection des conflits et l’ajustement cognitif. Des études d’imagerie montrent que cette zone s’active fortement lors de situations de dissonance cognitive, quand un individu se rend compte de l’incohérence entre ses actions et ses valeurs. . L’activation de cette région – ainsi que de l’insula (lié aux émotions négatives) et du cortex préfrontal dorsolatéral (contrôle cognitif) – signale la tension interne et favorise un changement d’attitude pour réduire l’inconfort http://scientificamerican.com
.
3.2 Dissonance cognitive et rationalisation défensive
Face à des informations ou arguments qui contredisent nos croyances profondes, nous éprouvons un malaise appelé dissonance cognitive. Ce phénomène, étudié dès les années 1950 par Leon Festinger, se définit comme la tension interne due à deux cognitions incompatibles (par exemple, «je me considère tolérant» et «je viens d’exprimer un propos intolérant»)
. La dissonance est désagréable, et le cerveau cherche à la réduire activement, soit en changeant l’un de ses points de vue, soit plus souvent en trouvant des justifications pour les rendre cohérents
. C’est le mécanisme de rationalisation a posteriori : on réinterprète la situation pour restaurer l’harmonie interne (p.ex. «mon propos n’était pas intolérant, il était factuel», ou «dans ce cas précis l’intolérance est justifiée par la sécurité»).
Neurobiologiquement, la dissonance fait appel aux régions du conflit (comme le cortex cingulaire antérieur mentionné plus haut) et aux régions émotionnelles (l’insula s’active lorsque nous sommes dégoûtés ou en colère de nous-mêmes)
. Le cortex préfrontal entre en jeu pour trouver une explication ou décider de modifier son attitude. Des expériences ont montré qu’en perturbant par stimulation magnétique la zone médiale frontale, on diminue la tendance des sujets à changer d’attitude après une dissonance, ce qui prouve que l’activité de cette région est bien liée au besoin de se justifier ou d’évoluer.
. Autrement dit, le cerveau, face à un conflit cognitif, déclenche un processus pour rétablir l’équilibre mental – parfois au prix d’un déni de la réalité ou d’une mauvaise foi involontaire.
Dans les débats universalisme vs communautarisme, la dissonance cognitive est fréquemment à l’œuvre : chaque camp, confronté à des évidences amenées par l’autre qui bousculent son cadre (une anecdote émouvante qui met en défaut une règle générale, ou au contraire un principe moral universel qui relativise une revendication particulière), ressent un inconfort et cherche à préserver sa cohérence interne. Cela conduit souvent à un rejet instinctif de l’information dérangeante, ou à une escalade argumentative pour la dissimuler sous des justifications. Par exemple, un militant universaliste, mis en face d’un exemple concret où l’application aveugle d’une règle a produit une injustice, pourra admettre le cas particulier tout en soutenant qu’il s’agit d’une anomalie sans remettre en cause la règle (rationalisation par exception). Inversement, un partisan communautariste confronté à un principe général positif pourra dire qu’il est hypocrite ou irréaliste, sans examiner rationnellement s’il pourrait néanmoins s’appliquer en le combinant avec des aménagements. Chacun tend à s’accrocher à son schéma de pensée, car y renoncer serait douloureux identitairement et intellectuellement.
Les émotions (peur de l’injustice, ressentiment, espoir, indignation…) et la dissonance agissent de concert pour enraciner les personnes dans leur position, même face à des arguments contraires solides. Comprendre ces mécanismes neurocognitifs permet de saisir pourquoi les débats publics sont si difficiles à faire évoluer par la seule force de la logique : l’adoption d’une norme ou d’une opinion n’est pas qu’une affaire de raison pure, mais aussi de psychologie profonde.
4. Conséquences sur les débats publics et les conflits d’interprétation
Les échanges entre universalistes et communautaristes tournent souvent à l’incompréhension mutuelle, voire au conflit. Les différences de sémantique, de mode de raisonnement et de réactions affectives entraînent des décalages dans l’interprétation des discours et des faits.
4.1 Quand chacun “parle une langue cognitive” différente
En reprenant la métaphore de la langue, on peut dire que l’universalisme et le communautarisme s’appuient sur des grammaires cognitives distinctes. L’universalisme privilégie la grammaire formelle des principes et des catégories universelles, là où le communautarisme utilise la grammaire sémantique des prototypes, des récits et des identités.
Cela conduit d’abord à des malentendus sémantiques. Par exemple, le terme de « justice » en débat : un universaliste entendra par là l’application impartiale de règles valables pour tous (vision procédurale et décontextualisée), tandis qu’un communautariste entendra par justice la reconnaissance de particularités et la correction des désavantages concrets subis par certains (vision située et restauratrice). Les deux parlent de « justice » mais ne mettent pas la même chose derrière : l’un a en tête un idéal-type abstrait, l’autre un prototype social concret. Il en va de même pour « égalité » (égalité des droits vs égalité des chances réelles), « liberté » (liberté formelle d’expression vs sentiment réel de ne pas être opprimé dans son identité), etc. Ces divergences renvoient à la distinction entre sémantique intensionnelle (conceptuelle) et sémantique extensionnelle : la première est plus du côté universaliste, la seconde du côté communautariste. Mais ce serait caricatural de poser les choses ainsi : ce qui était un ancrage dans le réel peut devenir un principe normatif rigide, parfois déconnecté du contexte ou de sa propre contingence initiale et inversement, un discours universaliste peut tout à fait mobiliser l’extension pour justifier ses principes : statistiques globales, jurisprudence, faits empiriques validant l’applicabilité générale d’une norme.
Quand une valeur (identitaire, religieuse, historique, morale) est élevée au rang de principe, elle devient non-négociable, indiscutable. On assiste alors à une confusion entre normativité procédurale et normativité affective. C’est dans ce basculement que les discours communautaristes peuvent se rigidifier : ils posent une valeur (reconnaissance d’un vécu, mémoire d’une souffrance, attachement culturel) comme s’il s’agissait d’un principe universel.
Mais cela vaut aussi pour les discours républicains ou universalistes : certains brandissent des principes abstraits (comme la laïcité ou l’égalité) avec la force émotionnelle et symbolique d’une valeur identitaire, ce qui produit la même fermeture.
Il faut rester conscient de l'urgence du moment. Certaines périodes, certains contextes, devraient faire peser la balance en faveur de l'un ou de l'autre et non figer le discours.
Il y a des malentendus dans le mode de preuve. Un débatteur universaliste sera convaincu par un raisonnement syllogistique bien construit ou par des statistiques globales, et pourra être désarçonné par l’importance que l’autre accorde à une anecdote ou un témoignage personnel. Il pourra même y voir une faiblesse argumentative (argument ad populum ou l’appel à l’émotion). Inversement, un débatteur communautariste sera frustré par les abstractions de son interlocuteur qui lui semblent creuses, et mettra en avant qu’« un seul cas réel contredisant la règle suffit à montrer que la règle a un problème ». Ce décalage épistémologique fait que chacun accuse l’autre de mal argumenter : sophisme émotionnel d’un côté, aveuglement technocratique de l’autre.
De fait, les messages sont reçus différemment en raison des biais et émotions vues plus haut. Un exemple concret poignant présenté par un camp peut être ressenti par l’autre comme un cas extrême non représentatif (biais de représentativité jugé chez autrui), alors que le camp énonçant ce cas le voit au contraire comme paradigmatique. Sur la peine de mort : les abolitionnistes (universalisme moral des droits humains) avancent des principes généraux et des statistiques d’erreurs judiciaires, tandis que les partisans (position souvent liée à l’émotion face à des crimes atroces) mettent en avant l’histoire d’une victime ou d’un crime exemplaire pour justifier la loi du talion. Chacun est imperméable aux arguments de l’autre car le registre cognitif diffère : froid utilitarisme global contre violence d’un cas qui bouleverse la conscience. Chacun peut tout à fait décider d'un système social et pour autant ne pas appliquer à lui même ce principe. C'est en cela d'ailleurs que sert la loi, en contraignant l'individu à être circonscrit à la société dont il est issu, elle le préserve de son incohérence (tant qu'elle ne le prive pas de sa décision, car on peut faire là une distinction entre les différents types d'application des lois).
Les média et réseaux sociaux peuvent exacerber ces incompréhensions en favorisant la communication d’arguments simplifiés et polarisants. Les éléments les plus partageables sont souvent ceux qui activent le Système 1 (courts messages émotifs, images choc, slogans) plutôt que le Système 2. Cela avantage mécaniquement les approches par prototypes et émotions au détriment des explications nuancées. Un discours universaliste subtil pourra être caricaturé en quelques mots qui le dénaturent, tout comme un discours communautariste pourra être rejeté sur la base d’un exemple mal choisi qui fait polémique. Le résultat est une rupture de la communication : non seulement les interlocuteurs ne sont pas d’accord, mais ils n’arrivent même plus à se comprendre sur le fond, chacun déformant le discours de l’autre à travers son prisme cognitif.
4.2 Conflits de jugement et dynamiques socio-cognitives
Les différences de cognition ne restent pas qu’au niveau individuel : elles peuvent conduire à des clivages de groupe entiers. Des personnes partageant un même style cognitif et cadre normatif auront tendance à se regrouper et à se conforter mutuellement (biais de confirmation collectif), ce qui radicalise les positions. Ainsi voit-on se former des «camps» idéologiques dans l’espace public, souvent alignés sur la distinction universaliste/communautariste sur de nombreux sujets (les débats sur le voile islamique, sur l’écriture inclusive, ou sur les politiques de discrimination positive opposent fréquemment un front «républicain universaliste» et un front «multiculturaliste»). Chaque camp développe sa bulle cognitive avec ses référentiels, ses médias, ses experts, renforçant l’homogénéité interne du raisonnement et l’hétérogénéité par rapport au camp opposé.
Ces conflits d’interprétation se doublent de conflits de valeurs : l’universalisme se prévaut souvent de la Raison avec un grand R (valeur d’universalité, d’objectivité), tandis que le communautarisme met en avant la Justice contextuelle et la dignité des personnes (valeur d’authenticité du vécu). Chacun considère tenir la haute morale, ce qui moralise le désaccord. Dès lors, l’autre camp n’est pas seulement dans l’erreur cognitive, il est dans la faute morale : l’universalisme est accusé d’«aveuglement complice» ou d’inhumanité par les communautaristes, et ces derniers sont accusés de «ségrégationnisme» ou d’irrationalité par les universalistes. Cette dimension accusatoire achève de fermer le dialogue, car on ne discute plus d’un point de vue à un autre, on défend son identité et sa morale contre une attaque perçue.
Le modèle classique du débat rationnel public a tendance à marginaliser certaines formes d’expression. L’exigence de rationalité formelle dans la délibération peut évincer les émotions, les récits et les symboles, alors même que ceux-ci sont centraux dans la manière dont beaucoup (de citoyens) donnent sens au politique. http://poesie-sociale.fr
. Si seules les argumentations froidement logiques sont valorisées dans l’espace public légitime, les groupes qui s’expriment davantage par storytelling, par expérience vécue, se sentent exclus ou incompris. Cela peut les pousser à la colère et à la radicalisation en dehors des canaux officiels, nourrissant un cercle vicieux : l’élite universaliste technocratique s'opposant à la base populiste émotionnelle. On voit ainsi émerger des fractures où la parole normative (lois, règlements, discours officiels) ne « parle » plus aux citoyens qui, eux, s’échangent des témoignages sur les réseaux ou dans des contre-sphères.
. Ce modèle est aujourd’hui inversé ou brouillé : les médias conservateurs (CNews, Europe 1, Valeurs actuelles, etc.) mobilisent massivement les affects, les indignations ciblées, les récits de peur ou d’injustice inversée (ex. « on ne peut plus rien dire », « les Français de souche sont abandonnés », « la République recule », etc.). La droite radicalisée adopte une posture victimaire en se présentant comme le dernier bastion des libertés, défendant l’« homme ordinaire » face à la technocratie, au wokisme, à la bien-pensance, etc. Elle utilise donc des outils discursifs historiquement communautaristes ou militants pour mieux s’approprier le terrain de la légitimité émotionnelle.
C'est une évidence de constater que ces deux positions profitent largement aux économies ultralibérales : les deux pôles fonctionnent comme les deux faces d’un même dispositif de captation de l’attention et de neutralisation de la critique. L’un légitime l’ordre, l’autre canalise les frustrations dans des impasses discursives. Ce déséquilibre discursif alimente l’économie de la distraction, de la division et de la consommation émotionnelle permanente.
5. Vers une articulation entre cognition et normativité démocratique
Comprendre ces mécanismes neurocognitifs des malentendus offre des pistes pour mieux structurer le débat public et rapprocher les points de vue dans le cadre démocratique. Plutôt que de nier l’un ou l’autre aspect (par exemple exiger une froide rationalité en toute circonstance, ou au contraire baser les décisions uniquement sur les demandes identitaires immédiates), il s’agit de relier les apports de chaque mode de cognition afin de construire des normes à la fois justes et partagées.
5.1 Rationalité accessible et pluralité des formes de discours
Un premier principe est celui de rationalité accessible à tous. Dans une démocratie, les normes et les lois gagnent en légitimité si leurs justifications peuvent être comprises et discutées par l’ensemble des citoyens, et pas seulement par des experts ou des philosophes. Cela implique de formuler les principes dans un langage clair, concret, illustré éventuellement par des exemples prototypiques parlants, de traduire l’abstrait vers le concret. Les tenants de la délibération publique, tels Jürgen Habermas ou John Rawls, soulignent que les échanges démocratiques doivent être inclusifs, égalitaires, publics et argumentés, et surtout compréhensibles par ceux qu’ils engagent. https://www.youtube.com/watch?v=jBl6ALNh18Q
. Concrètement, cela veut dire que dans un débat parlementaire ou citoyen, on devrait laisser place à la fois à l’exposition de principes généraux et à la narration de vécus pertinents, afin que chacun puisse raccrocher ces principes à la réalité.
Il s’agit donc de combiner récit et argument. Lors de l’élaboration d’une politique publique, on peut à la fois mobiliser des données globales (pour la vision d’ensemble) et des consultations citoyennes ou témoignages (pour prendre la mesure des contextes variés). Cette double approche permet de fidéliser le débat : les universalistes y trouvent les chiffres et cohérences qu’ils cherchent, les communautaristes y trouvent la reconnaissance de leur vécu. Des formats de débat innovants, comme les jurys citoyens ou les conférences de consensus, tentent justement de marier expertise rationnelle et délibération incarnée.
5.2 Révisabilité des normes et intelligence collective
Un second principe fondamental est la révisabilité des normes :
. Aucune loi ou règle sociale ne devrait être figée indéfiniment sans possibilité d’amendement à la lumière de nouveaux arguments ou de nouvelles réalités. Cette idée, héritée du pragmatisme (Charles Peirce, John Dewey) et défendue par la démocratie radicale (Cornelius Castoriadis insistait sur l’auto-institution de la société par elle-même), signifie qu’on doit toujours garder une ouverture au doute et à la correction. Relié à la cognition, cela implique de valoriser l’apprentissage et l’adaptation plutôt que le campement sur des positions. Si l’on constate qu’une norme universaliste, appliquée sans nuance, produit des effets délétères sur une communauté, il faut savoir en débattre et la ré-interpréter ou la compléter (par exemple, aménager une loi générale pour tenir compte d’un cas particulier légitime). Réciproquement, si une revendication communautaire particulière se heurte à des principes éthiques plus larges, il faut pouvoir la questionner et éventuellement la réformer en la conciliant avec l’universel.
Sur le plan neurocognitif, promouvoir la révisabilité revient à encourager la flexibilité mentale plutôt que la dissonance rigide. Des ateliers de réflexion collective peuvent aider à prendre conscience des biais (par exemple en faisant se rencontrer des personnes de bords opposés dans un cadre collaboratif plutôt qu’affronté, mais aussi éducation populaire au sens premier du terme). Des médiations peuvent inviter chacun à reformuler la position de l’autre dans son propre langage, un exercice qui mobilise fortement le cortex préfrontal (par inhibition de sa propre perspective et simulation de celle d’autrui) et peut réduire les incompréhensions. On pourrait parler d’empathie cognitive : parvenir à voir le cadre de pensée de l’autre sans forcément y adhérer, mais pour ajuster son propre discours de façon compréhensible. C’est un apprentissage, presque une hygiène mentale démocratique, qui pourrait être encouragé dès l’éducation (cours d’esprit critique mêlant logique et décodage des récits, jeux de rôles argumentatifs, etc.).
En outre, reconnaître la pluralité des approches cognitives dans l’élaboration des normes permet de mieux fonder la légitimité de celles-ci. Une loi co-construite à la fois sur un socle rationnel (preuves, principes) et sur une concertation humaine (expériences, ressentis, valeurs) aura plus de chances d’être acceptée et intériorisée par la population. On rejoint ici l’idéal habermassien d’une discussion où “les préférences des individus ne sont pas simplement exprimées, mais transformées à travers l’interaction rationnelle”.
. Cette transformation mutuelle serait le signe d’une véritable intelligence collective, où l’universel s’enrichit du particulier et vice versa.
En synthèse :
Les incompréhensions entre logiques universalistes et positions communautaristes trouvent leurs racines dans des fonctionnements neurocognitifs profonds : différences dans la manière de catégoriser (essences formelles / prototypes flexibles), d’appréhender le langage (concepts désincarnés / sens incarné et contextuel), de raisonner (déduction abstraite / analogie concrète), d’éprouver des émotions et de gérer la dissonance cognitive. Ces mécanismes, mis en lumière par la neurobiologie et la psychologie cognitive contemporaines, montrent que la raison humaine est également influencée par notre corps, notre vécu et nos biais. Lors des débats de société, ces deux “versants” de la cognition peuvent entrer en collision, entraînant quiproquos et conflits d’interprétation.
Plutôt que de sombrer dans le pessimisme d’une incompréhension irrémédiable, on peut voir dans cette analyse une opportunité : celle de concevoir le débat public différemment. En tenant compte de la manière dont les êtres humains pensent réellement, peut être est il possible d’ajuster nos pratiques démocratiques. Cela passe par une valorisation simultanée de la rigueur rationnelle et de l’expérience vécue, par des espaces de discussion où l’argument statistique cohabite avec le témoignage personnel, et où chacun apprend à décoder le langage cognitif de l’autre. Les principes démocratiques d’inclusion, de publicité des débats et de révisabilité des positions y gagneraient en effectivité, car les citoyens s’y sentiraient à la fois entendus dans leur singularité et élevés vers l’universel par la force des meilleurs arguments.
L’articulation de la logique formelle et de la sémantique prototypique n’est pas qu’un enjeu théorique : c’est la condition pour renouer un lien de confiance cognitive entre les individus et la sphère publique normative. Un tel lien, fondé sur la compréhension mutuelle des modes de pensée, est indispensable à la construction d’une opinion collective éclairée et à l’élaboration de normes véritablement légitimes et partagées.
Bibliographie indicative
Antonio Damasio (1995) – L’Erreur de Descartes. O. Jacob. (Neurobiologie des émotions et rôle des marqueurs somatiques dans la raison)
Eleanor Rosch (1975) – Cognitive Representations of Semantic Categories. Journal of Experimental Psychology. (Article fondateur sur la théorie des prototypes en catégorisation)
George Lakoff (1987) – Women, Fire, and Dangerous Things. University of Chicago Press. (Sémantique cognitive : catégories, métaphores et critique de la logique objectiviste)
Daniel Kahneman (2011) – Thinking, Fast and Slow (trad. fr. Système 1 / Système 2 : Les deux vitesses de la pensée, 2012). Farrar, Straus and Giroux. (Psychologie cognitive des biais, heuristiques et deux systèmes de pensée)
Leon Festinger (1957) – A Theory of Cognitive Dissonance. Stanford University Press. (Ouvrage pionnier introduisant la notion de dissonance cognitive en psychologie sociale)
Jürgen Habermas (1981) – Théorie de l’agir communicationnel. Fayard, 2 vol., 1987. (Théorie philosophique de la rationalité communicative et des conditions idéales du débat démocratique)
Jonathan Haidt (2012) – The Righteous Mind: Why Good People Are Divided by Politics and Religion. Pantheon. (Psychologie morale : intuitions morales, émotions et «cadres» valorisés par différents groupes, pouvant éclairer le clivage universalisme/communautarisme)
Cornelius Castoriadis (1990) – Philosophie, politique, autonomie. Seuil, 1990. (Recueil incluant des réflexions sur l’autonomie démocratique, l’auto-institution de la société et la révisabilité des normes).